Comment réduire l’empreinte du numérique ?
À l’échelle mondiale, le numérique engendre des pressions sur l’environnement et les ressources naturelles. Or, une utilisation plus responsable et durable des technologies digitales est possible. C’est l’objectif du Green IT, une démarche d’amélioration continue qui vise à réduire les impacts environnementaux, sociaux et économiques du numérique. Rencontre avec Frédéric Bordage, le fondateur et pilote du collectif Green IT.

Comment est né le collectif Green IT et quel est son rôle ?
Je travaille depuis plus de vingt ans sur le sujet du numérique responsable. Le collectif Green IT a, en effet, été fondé en 2004 pour questionner la place du numérique dans notre société, en quantifier les impacts et chercher à les réduire. C’est une organisation indépendante, reconnue pour son expertise scientifique et son intégrité. Au sein du collectif, nous sommes à la fois des dizaines et des centaines car, selon les sujets, de nombreux contributeurs viennent nous prêter main-forte. Au quotidien, nous publions des études comme celle sur l’Empreinte environnementale du numérique mondial, développons des outils permettant de quantifier les impacts du numérique, à l’instar du référentiel EcoIndex, et accompagnons les États, institutions et entreprises dans la mise en œuvre de pratiques plus vertueuses. Le collectif est notamment à l’origine des termes de « sobriété numérique », de « numérique responsable » ainsi que des démarches qui en découlent, comme l’éco-conception de services ou la slow-tech. Au fil du temps, cette approche terrain très pragmatique s’est également doublée d’une activité de plaidoyer pour que le sujet du Green IT soit davantage intégré au niveau réglementaire en France et en Europe. Par exemple, la loi REEN adoptée en 2021 et visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique n’existerait pas sans nous.
Qu’est-ce que le Green IT ?
L’objectif du Green IT est à la fois de réduire les impacts environnementaux, sociaux et économiques des systèmes d’information tout en créant de la valeur au sein des organisations. Il s’agit d’une démarche itérative et transversale qui prend en compte le numérique dans son ensemble (produits, services, fonctions-support, etc.), sous le prisme du développement durable. Les trois piliers People, Profit et Planet sont en effet interdépendants : une meilleure gestion des e-mails peut par exemple limiter la surcharge cognitive des salariés et accroître leur productivité tandis que l’éco-conception d’un logiciel permet de réduire les coûts opérationnels en plus de générer de la satisfaction client. En outre, pour évaluer les impacts du numérique, le Green IT s’appuie sur des outils qui respectent les standards internationaux, telles la norme ISO 14040 qui encadre l’analyse du cycle de vie des systèmes d’information et la Product Environmental Footprint (PEF) de la Commission Européenne. Celle-ci permet d’unifier la méthode de calcul des impacts environnementaux et sanitaires des produits disponibles sur le marché européen, offrant plus de transparence aux consommateurs.
Quels sont les principaux impacts du numérique ?
Les principaux impacts sont l’épuisement des ressources abiotiques (métaux, minéraux et ressources fossiles), le réchauffement global induit par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, les radiations ionisantes en France et les émissions de particules fines dans les autres pays européens, sans oublier la pollution des milieux aquatiques.
Au niveau mondial, ces impacts sont liés à 70 % à la fabrication des terminaux des utilisateurs. En entreprise, les impacts sont en revanche dus pour moitié à la fabrication des équipements qui constituent le système d’information. Le reste est dû tantôt à la consommation électrique, tantôt aux déplacements des collaborateurs de la DSI, selon l’indicateur d’impact que l’on observe.
Cette différence s’explique par le temps passé devant un ordinateur, qui est bien supérieur dans un environnement professionnel, et par le recours à davantage de serveurs et de réseaux en entreprise.
Pour vous donner un ordre d’idée, ce qui génère le plus d’impacts au sein des systèmes d’information des entreprises est, dans l’ordre :
- L’environnement de travail des collaborateurs (écrans, ordinateurs, etc.)
- Le service informatique
- Les réseaux locaux et étendus
- Les data centers
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des leviers pour réduire ces impacts. L’enjeu, en termes de Green IT, est en effet de fabriquer moins d’équipements et de les faire durer le plus longtemps possible en privilégiant, par exemple, le réemploi et l’éco-conception de services numériques.
De quels leviers disposent les citoyens, les entreprises et les États pour contribuer à une utilisation plus responsable du numérique ?
Nous disposons de cinq leviers essentiels pour rendre les citoyens et les entreprises acteurs d’une démarche de Green IT :
- Ne pas se suréquiper.
- Allonger la durée de vie des équipements en leur donnant une seconde vie.
- Être soi-même acteur du réemploi en faisant l’acquisition d’équipements reconditionnés.
- Éteindre tous les équipements inutilisés qui peuvent l’être.
- Déposer les équipements électroniques et numériques hors d’usage ou obsolètes dans des points de collecte dédiés pour qu’ils soient correctement dépollués puis recyclés.
À l’échelle des entreprises, le réemploi est facile à réaliser en interne, d’une direction ou d’un service à un autre. En revanche, il peut être complexe d’acquérir des centaines d’équipements reconditionnés de même modèle, état et qualité. À la différence des citoyens, les entreprises peuvent aussi mettre à disposition de leurs clients et collaborateurs des services numériques sobres et pérennes dans le temps, grâce à l’éco-conception.
Du côté des pouvoirs publics, l’enjeu est différent. Il s’agit de légiférer pour que l’ensemble des acteurs concernés soient tenus d’agir en faveur d’une réduction de l’empreinte environnementale et sociale du numérique en rendant obligatoire, par exemple, l’éco-conception. La régulation sur la durée de vie des équipements est également capitale pour mieux encadrer le réemploi et doit être, selon moi, assortie de mesures incitatives. L’objectif est double : augmenter le taux de collecte et instaurer, du côté des consommateurs, une confiance envers le marché du reconditionné. C’est en train de se mettre en place progressivement en Europe avec des mesures comme le Passeport numérique des produits (PNP). Prévue en 2027, son entrée en vigueur permettra d’accéder à des informations sur le cycle de vie des produits (origine, matériaux, performance environnementale, recyclage, etc.) pour améliorer leur durabilité et lutter plus efficacement contre l’obsolescence programmée. Car il ne faut pas perdre de vue que le réemploi et le reconditionnement constituent, à court-terme, les solutions les plus efficaces pour réduire les impacts du numérique !
Plus largement, comment déployer ces solutions à grande échelle ?
Pour devenir acteur d’une démarche de Green IT, il faut déjà être sensibilisé à ce sujet. Cela passe par la mise à disposition auprès du grand public et des décideurs politiques d’une information de qualité, pour leur permettre de prendre des décisions éclairées. Au sein des entreprises, la démarche de Green IT doit être synonyme de bénéfices pour être adoptée. Les étapes de sa mise en œuvre sont toujours les mêmes :
- Sensibilisation des équipes.
- Réalisation d’un bilan Green IT permettant de quantifier les impacts des produits et services proposés.
- Évaluation de la performance de l’entreprise et de ses marges opérationnelles au regard d’autres entreprises du secteur.
- Élaboration d’un plan d’action chiffré avec des objectifs à atteindre en termes, par exemple, de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
- Formation des équipes.
- Déploiement du plan d’action et mesure des bénéfices obtenus sur les trois piliers People, Profit et Planet.
L’État, à son niveau, peut également légiférer en faveur du Green IT mais la clé véritable est d’impliquer simultanément les citoyens, les pouvoirs publics et les entreprises dans cette voie. Autrement dit, chacun doit faire sa part en même temps pour faire bouger significativement les lignes.
Où en est-on aujourd'hui dans la prise en compte de ces enjeux en France et en Europe ?
Ma réponse va vous paraître paradoxale. Alors qu’il y a des avancées indéniables sur le sujet, avec par exemple la loi REEN qui est la première au monde visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique, nous devons aller encore plus vite et plus loin. Pour cela, il faut que la Commission Européenne et les États membres accélèrent le déploiement de la méthodologie commune de quantification des impacts environnementaux (PEF). Et aussi, que de plus en plus d’entreprises s’investissent sur le sujet du Green IT. C’est déjà le cas, ce qui est un signal très positif !
Questions à Walter Boulain, Chief Financial Officer chez LuxTrust
Comment le sujet du Green IT est-il investi par LuxTrust ?
Le Green IT est un sujet stratégique pour nous. Son analyse et son pilotage doivent, en effet, nous permettre de proposer à nos clients des services plus inclusifs et durables tout en limitant notre empreinte environnementale. Pour y parvenir, nous devons identifier les besoins réels des utilisateurs, évaluer la consommation et la performance de notre système informatique à l’aune de divers scénarios mais aussi prendre en compte le cycle de vie complet de nos équipements, de leur conception à leur fin de vie sans oublier leur phase d’usage. Suite à cet état des lieux de l’existant, notre objectif est par exemple d’optimiser nos consommations d’énergie, de réduire nos déchets électroniques et de privilégier le recours à des matériaux recyclables et des procédés de fabrication plus vertueux pour nos produits.
Comment les équipes sont-elles sensibilisées à ce sujet stratégique ?
Nous avons commencé à nous intéresser au Green IT en 2022 avec une première formation destinée à sensibiliser nos cadres dirigeants à cette démarche ainsi que nos collaborateurs en charge de l’opérationnel IT, des appels d’offre et de la relation client B2B. Pour aller plus loin, nous leur avons proposé en 2023 une nouvelle formation sur l’éco-conception des services numériques. Chez LuxTrust, nous sommes en effet convaincus que la mise en œuvre réussie du Green IT passe par la formation des collaborateurs, qui doivent être à la fois partie prenante et acteurs de ce sujet. Comme le rappelle Frédéric Bordage, cette démarche est itérative et transversale. C’est pourquoi, nous avons à cœur de travailler à tous les niveaux de l’entreprise pour déployer le Green IT dans nos métiers, que ce soit en intégrant des critères ESG dans nos cahiers des charges, en mettant en œuvre des procédures d’achat responsable ou encore en engageant nos fournisseurs dans cette voie.
Quelles actions relèvent déjà d’une démarche de Green IT ?
Nous travaillons sur plusieurs axes complémentaires. À côté de la formation et de la sensibilisation de nos collaborateurs, essentielles, nous avons mutualisé une partie de notre matériel de bureau, comme les imprimantes, et louons certains services informatiques écoresponsables auprès de prestataires. Nous avons également déployé un système de gestion des déchets électroniques et œuvrons pour favoriser le recyclage grâce à un dispositif de collecte particulièrement performant au Luxembourg. Au-delà, nous réfléchissons également à l’évolution de nos produits pour proposer à nos clients des services et solutions toujours plus résilients, tout en maintenant un haut niveau de sophistication et de sécurité.