« Le Luxembourg - le premier pays à avoir déployé un service d’authentification »
À la fin des années 1990, les perspectives associées au développement de la société et de l’économie numérique devenaient plus tangibles que jamais. Au Luxembourg, un ensemble d’acteurs a commencé à réfléchir aux enjeux, risques et opportunités liés à l’émergence d’une nouvelle économie. La question de l’identité au cœur des réseaux est rapidement devenue centrale.
Comment s’assurer de l’authenticité de la personne avec laquelle vous interagissez au sein d’un écosystème numérique ? Comment garantir la validité d’une transaction entre deux acteurs situés à distance ? Comment confirmer la valeur d’un acte signé en ligne ? Du fruit de cette réflexion est née l’initiative LuxTrust, aux ambitions nationales et internationales fortes.
Pionnière des services de confiance en Europe, la structure émanant d’un partenariat public-privé unique en son genre a rapidement cherché les moyens d’associer une identité numérique à une personne physique, garantissant de cette manière l’authenticité de la relation et assurant la validité juridique des transactions passées.
Président du conseil d’administration de LuxTrust depuis la création de la société en 2005, Serge Allegrezza revient sur cette aventure extraordinaire qui a positionné le Luxembourg comme un pionnier du commerce électronique en Europe, évoque l’importance de l’identité et de la confiance à l’ère du numérique, et dresse les perspectives pour le futur.
Dans quel contexte a été envisagée la création de LuxTrust, il y a plus de quinze ans ?
S.A. : En 1997, je travaillais pour le ministère de l’Économie. Au cœur du mois d’août, le ministre de l’Économie de l’époque, Robert Goebbels, m’a fait venir dans son bureau. L’objet de cette réunion, à laquelle participait aussi Lucien Thiel, alors directeur de l’ABBL, était un rapport de l’OCDE qui dressait le catalogue de tout ce que les pays pouvaient entreprendre pour faire avancer le commerce électronique. En parcourant le document, un point relatif à l’authentification et à la signature électronique a retenu notre attention. Je me souviens qu’à l’époque, nous nous sommes mis d’accord sur l’importance de positionner le Luxembourg comme un pionnier sur ces questions.
Qu’est-ce qui a poussé le Luxembourg dans cette direction ?
S.A. : Alors que la Commission européenne planchait sur une directive sur la signature électronique, notre ambition était d’avancer vite pour être les premiers à proposer un cadre législatif qui soit de nature à attirer des acteurs investissant dans ce que l’on appelait alors « nouvelle économie ». Il faut se remettre dans le contexte. Internet en était à ses balbutiements. Très peu de gens y avaient accès et, sur la toile, on ne trouvait alors pas grand-chose. Cependant, la technologie et son potentiel suscitaient un extraordinaire engouement.
Comment ces réflexions ont-elles débouché sur la création de LuxTrust ?
S.A. : En 2000, le pays s’est doté d’une loi ambitieuse relative au commerce électronique. Celle-ci prévoyait notamment la création d’un dispositif d’authentification et de signature électronique. Il n’y avait alors pas, sur le marché, de solution prête à l’usage. Nous avons dû nous résoudre à construire notre propre outil.
Au début, il y a eu une répartition claire des tâches : l’État fixerait un cadre réglementaire et les banques entameraient des études pour mettre en place une infrastructure à clés publiques. Mais celles-ci ont rencontré des difficultés à progresser et sont alors revenues voir l’État pour proposer la création d’un partenariat public-privé. Le secteur public, en effet, est un grand utilisateur potentiel de l’authentification et de la signature électronique, au même titre que le privé, à commencer par la banque en ligne. C’est ainsi qu’a été créé, en 2003, le Groupement d’intérêt économique LuxTrust, précurseur de LuxTrust SA.
Quelles étaient les ambitions derrière ce partenariat ?
S.A. : Il s’agissait d’envisager la mise en œuvre d’une solution technologique qui soit exploitable, autrement dit une plateforme qui fonctionne de façon autonome, qui assure divers services, qui mutualise une infrastructure pouvant être utilisée par les acteurs privés et le secteur public. Dès le départ, l’enjeu était de doter le pays d’une plateforme unique qui profite à tout le monde, que l’on soit citoyen, consommateur ou commerçant. L’idée poursuivie par les fondateurs était aussi d’en faire un modèle exportable, un exemple d’excellence en Europe.
Quels ont été les principaux défis rencontrés dans la mise en œuvre de cette solution ?
S.A. : Le GIE, qui était présidé par Étienne Schneider, appelé à devenir ministre de l’Économie, a beaucoup travaillé pour trouver une solution qui fonctionne. Ce n’était pas facile. On s’attendait à ce que des acteurs à l’étranger développent des outils que l’on aurait pu mettre en œuvre. Malheureusement, ils n’ont pas émergé. Les quelques initiatives identifiées n’ont pas survécu. C’était trop tôt, le marché n’était pas là.
Quand on fait partie des pionniers, la plus grande difficulté, c’est de pouvoir durer le temps que le consommateur identifie l’intérêt de l’offre. On a donc dû faire par nous-mêmes. C’est alors qu’est intervenue la création par Jeannot Krecké, ministre de l’Économie de l’époque, de LuxTrust SA. La société, dotée de capitaux, de personnel, avait pour objectif d’offrir une solution viable commercialement.
Pour effectuer des transactions en ligne, la question de la confiance entre les acteurs est fondamentale. Comment LuxTrust, dès le départ, a souhaité y répondre ?
S.A. : L’identité est au cœur de notre travail et au fondement de la relation de confiance que l’on doit établir pour échanger en ligne. Dans le monde physique, la notion d’identité est a priori évidente. Chacun sait qui il est, a conscience de ses caractéristiques et de ses propriétés. Celles-ci peuvent être physiques, comme la corpulence, la taille, la couleur des yeux, le profil, les empreintes digitales (celles laissées par nos doigts), ou encore se révéler par notre attitude, notre comportement, notre caractère. Grâce à votre signature, via la graphologie, on peut vous reconnaître et assurer l’authenticité d’un document.
Dans le monde numérique, où il est plus aisé d’agir de manière anonyme, de se créer d’autres profils et d’autres identités, c’est autre chose. Comment s’assurer que la personne qui vous expédie un message ou qui vous propose une transaction depuis l’autre coin de la planète est bien la bonne ? Comment garantir l’identité de la personne qui s’engage à travers la signature d’un contrat ? Tout l’enjeu, à travers LuxTrust, a été de trouver et de mettre en œuvre un système qui confirme de manière sûre et unique que c’est bien X et Y qui, chacun à des endroits différents, interagissent en ligne.
Comment évolue la valeur de l’identité au cœur de l’espace numérique ?
S.A. : Beaucoup de travaux sociologiques et philosophiques se penchent sur ces questions, sur les relations qu’ont les individus sur les réseaux sociaux, sur la possibilité que nous offre le numérique de développer différentes identités. La notion d’identité évolue, la conscience que chacun a de soi-même évolue.
Lors de notre dixième anniversaire, nous avons fait intervenir le Pr Benoit Lengelé, un chirurgien plastique spécialisé dans la reconstruction du visage, qui a notamment coréalisé la première greffe du visage. Il a partagé avec nous une réflexion autour de l’identité, en partant de l’exemple de soldats défigurés durant la Première Guerre mondiale, les fameuses « gueules cassées ». La gravité des dommages dont souffraient ces personnes allait jusqu’à remettre en cause leur identité. Comment s’assurer qu’elles sont celles qu’elles prétendent être si leur visage, leur corps, leur nom… ne peut être authentifié. À partir du moment où les attributs permettant de reconnaître une personne s’effacent, elle perd son identité. Ce sont des questions intéressantes, mais qui s’envisagent à des niveaux philosophiques.
Notre vision, au sein de LuxTrust, est beaucoup plus modeste. Nous souhaitons faire en sorte que l’on puisse identifier une personne et un objet de manière sûre pour faciliter les échanges et les transactions en ligne. À travers la signature électronique, nous garantissons aussi l’intégrité d’un document dans le temps. Celui qui va consulter un document signé au départ d’une identité gérée par LuxTrust a la certitude qu’il n’a pas été altéré. Si le document avait été modifié, ne serait-ce que d’une virgule déplacée ou supprimée, la signature disparaît et sa validité ne peut être confirmée.
À une époque de développement technologique intense, comment les caractéristiques qui définissent notre identité évoluent-elles ?
S.A. : Si, hier, notre identité était définie par notre corpulence, notre iris, nos empreintes digitales, demain, elle pourra peut-être être définie par notre attitude en ligne, nos comportements sociaux, nos habitudes… que l’on peut aujourd’hui beaucoup plus précisément identifier, mesurer. Il y a énormément de recherches effectuées dans ces domaines.
Pour LuxTrust, il est très important de rester connecté à ses sujets. Nous devons considérer les évolutions dans le domaine de la cryptologie, du big data, de la biologie, de l’informatique quantique… Nous devons être à même de comprendre en quoi ces avancées technologiques et ces nouvelles connaissances sont ou seront utiles pour développer notre cœur de métier qui est l’identité et la gestion des attributs. On mène des travaux avec l’université, on a des projets de recherche, on opère une veille technologique attentive. La recherche, l’innovation, cela fait partie des enjeux de LuxTrust, pour éviter d’être dépassé par les nouvelles technologies.
Qu’est-ce qui rend l’initiative LuxTrust singulière à vos yeux ?
S.A. : Sans aucun doute le fait qu’il s’agisse d’une initiative commune, qui a rassemblé des partenaires ayant des intérêts particuliers dans le but de mettre en place la meilleure solution, au départ d’une infrastructure mutualisée, pour répondre aux enjeux d’authentification et de signature électronique. Cela n’a rien d’anodin car, si l’on regarde dans les pays autour de nous, le marché de la signature électronique est totalement fragmenté. Le Luxembourg est le premier pays à avoir déployé un tel service à l’échelle nationale.
En quoi LuxTrust contribue-t-elle à renforcer la confiance à l’ère du numérique ?
S.A. : La confiance, cela se construit. Notre développement et la manière dont nous sommes parvenus à aligner les intérêts de chacun pour atteindre l’objectif, sont révélateurs de l’importance et de la confiance pour accomplir quelque chose. Vis-à-vis des utilisateurs, la confiance ne peut se construire que si l’on offre un service de qualité, opérationnel en permanence, facile à utiliser, qui contribue effectivement à limiter le risque de fraude en ligne.
Notre rôle est d’intervenir là où l’on peut au niveau de la chaîne de sécurité pour supprimer certaines vulnérabilités liées à la réalisation de transactions en ligne. Nous agissons de manière transparente, aux côtés des opérateurs et des utilisateurs, pour assurer l’authentification des personnes ou encore garantir la valeur juridique d’une signature électronique apposée sur un document. Faire en sorte qu’une signature électronique ait la même valeur qu’une signature réalisée de sa belle plume était l’ambition inscrite dans la loi sur le commerce électronique de 2000.
Aujourd’hui, avec notre solution de signature électronique COSI, nous offrons cette possibilité à chacun, en nous assurant pour cela de mettre en œuvre les meilleures technologies et de respecter les normes et réglementations en vigueur.
Peut-on aujourd’hui mesurer la valeur ou l’importance de cette confiance numérique ?
S.A. : La confiance joue un rôle essentiel dans le développement du commerce électronique, des services en ligne. Au niveau de LuxTrust, cela se traduit au niveau de l’actionnariat, du respect des réglementations, de la surveillance opérée, des audits réalisés. La confiance est la résultante de cet écosystème qui doit encore être développé. Si l’on veut agir au sein de l’environnement numérique comme on le fait dans le monde physique, il est nécessaire d’y reproduire certaines opérations. Aujourd’hui, signer électroniquement un document avec LuxTrust vous engage comme si vous l’aviez signé manuellement. Ce n’est pas rien. Sans le développement de cet écosystème, sans la confiance qu’il fonde, le développement des services en ligne que l’on connaît aujourd’hui n’aurait sans doute pas été aussi rapide.
Comment voyez-vous le futur ? Quelles sont les ambitions de LuxTrust désormais ?
S.A. : L’enjeu est de poursuivre notre croissance à l’international, en étant à l’écoute des besoins des acteurs que nous accompagnons, en créant de nouveaux services et des solutions qui répondent aux attentes du marché.
L’autre grand enjeu concerne davantage le Luxembourg comme smart digital nation. Je pense que nous devons revenir aux ambitions qui étaient formulées au lancement de cette aventure, faire en sorte que, dans tous les domaines associés à la société numérique, nous soyons excellents. Il y a encore des chantiers importants à mener au niveau de l’éducation en ligne, de l’archivage, de l’e-invoicing, de l’identifiant numérique unique…
Depuis sa création en 2005, le parcours de LuxTrust a connu de nombreux événements et réalisations qui ont permis à la société de se positionner progressivement comme un leader européen dans les domaines de la sécurité et de la transformation digitale. Vous pouvez en savoir plus sur l’histoire de notre entreprise ici.