Les mesures de rétorsion économiques envisagées n’ont fait qu’accélérer la prise de conscience : l’Europe doit renforcer son autonomie et définir une véritable stratégie de souveraineté numérique.

Pour autant, sa mise en œuvre est loin d’être évidente avec des fournisseurs américains qui dominent largement le marché du logiciel, des infrastructures et de l'hébergement en Europe. À titre d'exemple, les centres de données reposent de 85 à 90 % sur des technologies américaines : AWS, Azure et Google Cloud en tête.

Reste alors à clarifier : de quoi parle-t-on exactement ? La souveraineté numérique signifie-t-elle une indépendance totale, une maîtrise renforcée de la protection des données, ou un équilibre stratégique face aux grandes entreprises technologiques mondiales ? Est-elle réellement atteignable – et surtout, est-elle souhaitable pour les économies interconnectées que sont celles de l’Europe ?

Éléments de réponse dans cet article avec Fabrice Aresu, notre CEO.

La souveraineté numérique ou l’art de rester maître du jeu même quand tout vacille ?

La souveraineté numérique désigne la capacité d’un État, d’une organisation ou d’un continent comme l’Europe à contrôler ses infrastructures, ses données et ses technologies critiques, sans dépendre excessivement d’acteurs étrangers. À l’origine, le concept a été largement utilisé pour parler de l’hébergement des données sensibles sur le territoire européen.

Toutefois, ce dernier a progressivement évolué pour englober un champ beaucoup plus large : la maîtrise des données et des transferts, un contrôle sur l'infrastructure matérielle et logicielle, et la capacité à développer un cadre normatif protégeant non seulement les citoyens mais aussi les entreprises. 

La maîtrise des données

Dans l’économie numérique, les données sont devenues un actif au sein des organisations. Qu’il s’agisse d’informations contractuelles, techniques, administratives ou métiers, elles concentrent aujourd’hui une part importante de la valeur – mais aussi de la vulnérabilité – des entreprises.

À ce titre, la question ne se limite plus à savoir où ces données sont stockées. L’enjeu majeur est la maîtrise des flux : comprendre qui peut les collecter, les transférer, les exploiter – et dans quelles conditions. C’est précisément là que se situe le risque majeur : la chaîne de traitement. Même lorsqu’une entreprise met en place des solutions pour protéger ses informations, des fuites peuvent survenir par des usages de confort comme un transfert de documents par l’intermédiaire d’un service en ligne grand public.

Autant de pratiques qui contournent les dispositifs officiels et exposent les données sensibles à des circuits non maîtrisés. La souveraineté impose donc d’aller au-delà du stockage : elle exige des chaînes de transfert souveraines, capables de garantir la confidentialité de bout en bout.

Pour LuxTrust, cette approche est au cœur de la stratégie. « Toutes nos infrastructures sont en Europe, voire même chez les clients », souligne Fabrice Aresu. « Nos clients les plus exigeants, notamment dans les secteurs militaire et spatial, optent pour des solutions on-premise déployées directement dans leurs centres de données. » Cette approche répond à une demande toujours plus forte du marché : dans les appels d’offres, la localisation, l’usage et la protection des données deviennent des critères de sélection.

Un contrôle de l'infrastructure matérielle et logicielle

Un autre axe de la souveraineté numérique concerne la continuité des infrastructures informatiques et leur résilience face aux incidents. Pour les acteurs systémiques, ce n’est plus seulement une question de performance; une interruption imposée par un fournisseur clé représenterait un risque critique et impacterait immédiatement les opérations comme ce fut le cas le 20 octobre 2025 lors de la panne mondiale de la société AWS.

Les infrastructures doivent être conçues avec des mécanismes de redondance et des plans de continuité garantissant une disponibilité ininterrompue. Cette exigence ne se limite pas au matériel, elle s’étend à l’ensemble de la chaîne technologique, incluant le cloud, les composants logiciels et les services tiers. Ce besoin de gouvernance est particulièrement crucial dans le domaine du développement logiciel, où la dépendance à des sous-composants ou à des librairies tierces est monnaie courante.

Mais cette dépendance va au-delà des seuls aspects techniques. Il suffit qu’un composant logiciel, une librairie ou un service cloud soit contrôlé par un acteur étranger qui — allié aujourd’hui — pourrait devenir contraignant ou hostile demain selon l’évolution des rapports de force internationaux. D’où la question : que se passe-t-il si l’accès à un service critique est révoqué pour des raisons politiques ou économiques ?

« Les événements du passé nous ont appris que ce risque est bien réel : il faut régulièrement actualiser les librairies pour éviter de se retrouver exposé à des failles critiques ou à une défaillance de mise à jour, comme celle de Log4J en 2021 ou de CrowdStrike en 2024 », rappelle Fabrice Aresu. C’est tout l’enjeu d’une réflexion autour de stacks technologiques européennes, associant matériel et logiciel dans une logique de maîtrise globale. L’objectif est de réduire la dépendance vis-à-vis de fournisseurs non-européens et de garder le contrôle sur les briques les plus sensibles. 

« Cependant, l'indépendance ne signifie pas l’autarcie. Pour la plupart des entreprises, viser le 100 % de souveraineté n’est ni atteignable financièrement ni techniquement. L’enjeu est donc de raisonner en termes de risques. L'objectif est de savoir quelle part de la chaîne on peut perdre sans couper entièrement le service », souligne Fabrice Aresu.

Chez LuxTrust, cette ambition est déjà en œuvre depuis plusieurs années. Pour les composants critiques, notamment dans les domaines de la sécurité, nous privilégions des partenaires européens, reconnus pour leur fiabilité et leur conformité aux exigences locales. Cette orientation permet de limiter la dépendance à des fournisseurs non-européens, potentiellement soumis à des logiques extra-territoriales.

Un cadre normatif et réglementaire

La souveraineté numérique passe également par un cadre normatif européen clair et structuré, visant à garantir aux entreprises européennes un contrôle sur leurs données et leurs infrastructures numériques.

Depuis l’abrogation du Privacy Shield en 2020, l’Union Européenne a dû repenser ses mécanismes de transfert de données vers les États-Unis. En réponse, le EU-U.S. Data Privacy Framework a été instauré en 2023 pour remplacer le Privacy Shield et permettre les transferts de données entre l’UE et les États-Unis, tout en respectant les droits des citoyens européens.

Ce cadre vise à renforcer la protection des données personnelles tout en facilitant les échanges transatlantiques. Cependant, des questions subsistent concernant son efficacité à garantir une protection face aux pratiques de surveillance des autorités américaines comme le Cloud Act.

Dans les faits, un fournisseur soumis au droit américain ne peut pas ignorer les injonctions de son État : s’il doit prouver que ses technologies ne bénéficient pas à une entité placée sous embargo, il doit nécessairement disposer d’une capacité d’accès ou de contrôle sur les flux qu’il héberge. Face à tant de régulation, des pays s'interrogent sur la capacité de l’Europe à réglementer des technologies qui ne sont pas encore pleinement développées sur le territoire, notamment en matière d’intelligence artificielle. Trop de réglementation pourrait-il nuire à l’innovation et à l’agilité des entreprises ?

Les nouvelles régulations comme l'AI Act renforcent les exigences en matière de protection des données et de gouvernance des technologies, mais peuvent également créer des barrières supplémentaires pour les acteurs technologiques européens et leurs partenaires. Si l'objectif reste clair : garantir la souveraineté numérique, le défi réside dans l'équilibre entre protection des données et liberté d’innovation.

LuxTrust et la souveraineté numérique : bâtir l’autonomie européenne

La question de la souveraineté numérique ne doit pas être abordée uniquement par le prisme de la gestion des données, mais se doit d’être considérée comme un avantage compétitif, à la fois pour le contrôle du capital toujours plus numérique des entreprises, ainsi que dans le renforcement de la confiance de l’utilisateur final. « La souveraineté numérique est avant tout une question de résilience, de confiance et de contrôle », comme le rappelle Fabrice Aresu, notre CEO.

Alors que les entreprises et les États européens font face à une dépendance croissante aux acteurs étrangers, nous avons développé des solutions digitales souveraines pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain